http://www.nanarland.com/Chroniques/Mai ... stgaypower
Je sens que cette chronique là ne va pas être facile.
Dans la masse grouillante des nanars, on identifie plusieurs catégories qui présentent un challenge particulier pour le chroniqueur. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les meilleurs nanars sont ainsi souvent parmi les plus délicats à chroniquer. Rien n’est plus facile en effet que de « vendre » un insipide navet comme un sommet de drôlerie. Le grand nanar au contraire exige qu’on le distingue de la masse et c’est là toute la difficulté de l’exercice. On court le risque de noyer le lecteur sous les superlatifs et la multitude de détails hilarant qu’on tient absolument à faire partager. Les nanars très visuels, où l’essentiel du ridicule vient des effets spéciaux ou du jeu des acteurs par exemple constituent un autre défi. Un doublage insensé ou des trucages ringards peuvent suffire à faire le nanar, mais ça ne suffira pas à meubler les 1 500 mots règlementaires de la chronique nanarlandaise moyenne.

Bruce Lee et son fantastique t-shirt se préparent à infiltrer le Gay Power.
L’oeuvre qui nous intéresse aujourd’hui fait partie d’un autre genre de films particuliers, plus rares mais pas moins difficiles à chroniquer : ceux dont toute l’essence nanarde peut se résumer en une seule phrase, lorsque c’est le concept même du film qui est d’une débilité à toute épreuve. Le problème dans ce cas, c’est qu’une fois qu’on a couché cette phrase sur le papier, il n’y a pas grand-chose d’autre à ajouter. Alors pensez, quand en plus la phrase en question sert de titre au film…

Le chef des gays n'est autre que John Lennon.
Cet homme meurt avec un braquemart enfoncé jusqu'à la garde !
Comment donc vais-je pouvoir m’y prendre pour vous parler de Bruce Lee against Gay Power, c’est à dire « Bruce Lee contre le pouvoir homosexuel » pour les anglophobes les plus irréductibles ? Je pourrais vous dire qu’il s’agit d’un film brésilien de 1975, que le réalisateur et acteur principal en est un certain Adriano Stuart, inconnu chez nous (et je soupçonne inconnu chez lui aussi d’ailleurs) mais franchement, qui cela peut-il intéresser ? La seule chose vraiment importante à dire au sujet de ce film, c’est que dedans il y a Bruce Lee qui se bat contre le Gay Power. Sérieusement bien sûr, sinon ce n’est pas drôle. Alors comme tout est dans le titre mais qu’il faut bien remplir cette colonne, ne serait-ce que pour avoir la place de caser quelques images, essayons de prendre tout ça dans l’ordre.
Un film avec des pipes.

- Il doit pas y en avoir des masses des films de kung-fu brésiliens quand même.
- Ouais enfin là, c'est plutôt un film de kung-folle (Mr Klaus)
-
Bruce Lee : aucun doute, nous sommes bien en présence d’un authentique film de Bruceploitation brésilien avec tout ce que cela implique déjà de crétinerie. Que l’acteur principal ne ressemble ni de près ni de loin à Bruce Lee et ne soit même pas asiatique n’a aucune importance, d’autres détails sont là pour nous convaincre que c’est bien le petit dragon qui mène la croisade contre les dépravés sodomites. D’abord, il y a son magnifique t-shirt rose estampillé « kung-fu », dont on serait tenté de penser qu’il n’est qu’un artifice censé permettre à Bruce Lee d’infiltrer le Gay Power. Ensuite il y a la panoplie habituelle des imitateurs de Bruce Lee : les cris stridents, les poses avantageuses prises pendant le combat, les tics et même le nunchaku, manié ici plutôt comme un batteur à œufs qu’autre chose mais nous n’allons pas faire la fine bouche. Enfin, il y a le Maître Shaolin de Bruce Lee qui apparaît à travers quelques flashbacks, ici joué par un Noir affublé de moustache postiche.
Maître Mamadou Tchang, ici lors de la remise à Bruce Lee de son diplôme de kung-fu.
Suivant l'ancienne tradition shaolin, ceci est censé être une marque de tigre gravée dans la peau au fer rouge, mais apparemment le magasin de faux tatouages n’avait plus que des zèbres en stock.
- Bruce Lee
Against : il est donc question d’un affrontement. Et même de plusieurs affrontements, voire d’un enchainement soutenu de bastons toutes plus ringardes les unes que les autres. Adriano Stuart n’a visiblement jamais pratiqué le moindre art martial et notre Bruce Lee amazonien se bat comme une chaussette. Il faut dire que ses adversaires sont à la hauteur et se font étaler avec une remarquable bonne volonté par quelques molles mandales ou divers coups de pieds maladroits. On note en particulier de la part de Bruce Lee une impressionnante proportion d’attaques dirigées contre les parties sensibles, mais j’imagine que lorsqu’on combat le Gay Power, il vaut mieux attaquer le mal à sa racine. En fait, on remarque que c’est essentiellement la fiancée / sidekick de Bruce Lee qui fait le plus gros du travail dans presque toute les bastons, au point de se demander si le petit dragon n’aurait pas des fois un gros poil dans la main.


Bruce Lee et sa copine s'attaquent à la racine du mal.
La mythique Troisième Jambe de Bruce Lee n'est bizarrement pas mise à contribution.
- Bruce Lee against
Gay Power : le bouquet final. Comment s’assurer à jamais une place sur Nanarland en rajoutant simplement deux mots à la fin du titre de son film (ainsi bien sûr qu’en construisant vraiment toute l’histoire autour d’un postulat aussi débile). Le Gay Power ici, c’est une espèce de gang qui fait régner la proverbiale terreur sur la ville et commet une erreur fatale lorsqu’il s’en prend finalement aux parents de Bruce Lee et les assassine sauvagement. L’aspect gay de l’entreprise reste assez confus, il faut dire que le film n’existe à notre connaissance qu’en portugais non sous-titré. D’un côté on assiste effectivement à des scènes d’orgies (traduisez : huit figurants mâles tout habillés faisant semblant de danser la valse ensemble au milieu d’un champ), de l’autre notre joyeux boys band semble également avoir une prédilection pour la tentative de viol de jeunes femmes, tentatives interrompues au dernier moment par Bruce Lee cela va sans dire.

Viol de jeunes femmes et bigoudis : la journée ordinaire d'un chef du gay power.
- Tiens ! Y a même un pirate chez les gays.
- Ouais, c'est le capitaine Barbe Rose (Barracuda)
A part des costumes folkloriques aux couleurs pastels, une poignée de gags particulièrement pesants et un personnage de travesti très caricatural, la bande que combat Bruce Lee aurait tout aussi bien pu être un gang de motards ou de mafieux indélicats. Seulement voilà, ils n’en sont pas et
Kung-fu contra as Bonecas (le titre original, qui d’après la traduction Google signifie « Kung-fu contre les poupées » : le héros ici calque en effet son costume sur celui porté par David Carradine dans la série TV
Kung-fu) passe ainsi du statut de film étranger obscur à celui de nanar incontournable. L’attitude de Bruce Lee face à l’homosexualité est assez floue. D’un côté il combat le Gay Power, responsable de la mort de ses parent. De l’autre il semble lui-même éprouver une certain attirance pour le sexe fort et c’est non sans suprise qu’après la mort de sa fiancée on le verra finalement se consoler dans les bras du travesti local.

Le travesti maniéré du village, à qui Bruce Lee décide de donner une bonne leçon.

- Et Bruce Lee il est où ? On le voit presque jamais se battre.
- Il est surement en train de se faire acculer dans un coin. (Dao)
D’un point de vue strictement nanar, Bruce Lee against Gay Power est un film qui se défend fort honorablement, même s’il ne resterait sans doute pas dans les annales sans son titre et son concept de fou furieux. On ne saurait assez souligner le potentiel surpuissant de ce film pour tous les amateurs de calembours au ras des pâquerettes (ainsi que les légendes de certaines images ont dû vous l’indiquer), faisant d'un visionnage en groupe et si possible légèrement alcoolisé une expérience rapidement inoubliable. Les amateurs pourront également compter sur pas mal de bastons réjouissantes d’amateurisme avec un faux Bruce Lee parmi les plus grotesques qui soient (et Dieu sait que la concurrence est pourtant rude) et qui ne connaît visiblement des arts martiaux que ce qu’il en a vu dans une poignée de films de kung-fu. Il y a en gros deux figurants qui semblent pratiquer un peu la capoeira, mais ils ne sont guère utilisés dans le film à part pour se faire rapidement étaler par Bruce Lee, et encore, au deuxième plan. C’est en fait la copine de Bruce Lee qui fait l’essentiel du savatage (avec la même prédilection pour le coup de boule dans les valseuses d’ailleurs), Bruce lui-même ne servant souvent que de force d’appoint.

Dans cette scène ahurissante, Bruce Lee dévie les balles grâce à son nunchaku, aussi solide que difficile à capser correctement.

Pfff... Des fois, c'est vraiment trop facile. Ils pourraient quand même faire un effort pour offrir un minimum de challenge aux nanardeurs.
Au final un nanar fort plaisant, dont la principale faiblesse reste tout de même la barrière de la langue (le film n’existe à ce jour qu’en Portugais non sous-titré), d’autant plus frustrante que le peu que l’on arrive à comprendre de l’histoire laisse penser que celle-ci est tout aussi barrée que le reste. Il convient en effet de préciser que le film ne se prend pas entièrement au sérieux et semble même pencher franchement du côté de la comédie lourdaude le temps de quelques scènes. Un film à découvrir en tous cas, ne serait-ce que pour pouvoir ensuite le replacer comme référence dans les dîners mondains ou les débats universitaires de haute volée.
*Légende censurée par la rédaction*
Note : 3,5 / 5
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Cote de rareté : 4/ Exotique
Etonnamment, le film se trouve facilement en ligne sur le site américain spécialisé
www.superstrangevideo.com, probablement sous la forme d'un DVD semi-bootleg au prix tout de même très élevé de 20$. Nous n'avons pas pu trouver une jaquette pour ce film, si tant est qu'il en existe une.