J'ai été voir ce 2 en 1 et j'en suis revenu mitigé.
Comment ça, 2en 1? Pierre Carles aurait-il subrepticement glissé quelques scènes avec Bruce Baron en douce dans la vie de Georges Bernier?
Ben, l'idée, c'est un peu ça, sauf qu'en lieu et place de Bruce, on a Philippe Val, tout aussi glacial et peu amène d'ailleurs, mais sans bandeau ninja. Car en fait, ce film est fait deux métrages distinct, l'un que l'on pourrait appeler "Choron, sa vie, son oeuvre" et l'autre, "Val est un fieffé salopard". Ce qui est gênant, dans l'histoire, c'est que plus le film avance et plus on se rend compte (du moins, c'est mon ressenti personnel) que le premier ne sert que de prétexte au second. La vie de Choron ne devient, au final, qu'un faux nez derrière lequel se dissimulent Pierre Carles et Eric Martin pour mieux dézinguer Philippe Val sur le ton du "ah, dans l'temps, on savait rire". On peut détester Citizen Val (qui le mérite sur bien des aspects) mais malgré ça, la démarche est mesquine à la base.
Val, je l'avais interviewé en 2002 pour un papier à l'occasion des 10 ans du nouveau Charlie et, "off the records", je lui avais un peu parlé de l'époque Choron (en échange de la promesse que ses propos ne seraient pas repris dans l'article) et il m'a très clairement signifié sa détestation du personnage qu'il qualifia même de "pétomane". Il n'a malheureusement pas été plus explicite sur ses rapports avec le Professeur, mais, comme on dit dans le football, "ces deux là, ils ne passeront pas leurs vacances ensemble". Je n'ai pas pu m'entretenir avec Cavanna (malade le jour d'interview),mais Cabu, lui, fut plus explicite et surtout plus franc (même si c'était toujours "off the records"): apparemment, au début de l'aventure Hara-Kiri, il appréciait beaucoup Bernier, mais, au fil du temps, leurs relations se sont dégradées du fait du comportement de ce dernier. Cabu a d'ailleurs quitté le bateau Hara-Kiri pendant quelques années, ne revenant finalement qu'à la demande de Cavanna et n'adressant quasiment plus la parole à Choron pendant les confs de rédac. Je n'ai d'ailleurs compris réellement la rancœur de Cabu envers Choron il n'y a que deux semaines, lorsque ce dernier a publié un strip intitulé "Le film ne raconte pas ce que Choron nous racontait", brossant en quelques cases le portrait du salopard sans scrupules derrière l'image publique du joyeux déconneur à fume-cigarettes. C'est peut-être un peu lâche de sa part de dénoncer le "dark side" de Choron une fois celui-ci mort et enterré, mais on sent néanmoins que le papa du grand Duduche en a gros sur la patate. Dans le même numéro, Jean-Baptiste Thoret se paye cruellement le film, sur la même page: ça pue le règlement de comptes entre deux bandes d'ex-copains devenus ennemis pour la vie et c'est un peu dérangeant, surtout avec un Cavanna au milieu qui en est manifestement conscient et que ça attriste énormément.
Si on ajoute à ça la sortie du film en salles quelques mois après "l'affaire Siné" et le lancement du très médiocre Siné Hebdo (jouer le vieil anar sans peur et sans tabous, et finir par ouvrir ses colonnes à Isabelle Alonzo et Guy Bedos, c'est juste pathétique), ça ne rend que plus triste la querelle entre les anciens et les modernes.
Pour en revenir au film, disons que la partie sur Choron n'est pas mal. Carles ne le met pas sur un piédestal et le montre tel qu'il a été: un type capable de vraies fulgurances humoristiques, mais aussi, parfois, un beauf pathétique aux provocs un peu surannées. Bref, un film à charge et à décharge qui a au moins l'honnêteté de ne pas faire de Choron un nouveau Coluche. Choron n'était pas dieu sur terre: c'était juste un type capable du meilleur et du pire, toujours dans l'excès, même parfois dans le ridicule ou le malsain (cette scène avec Schlinguo ou l'on voit ces deux vieillards en train de montrer leurs zguègues en public pour tenter de faire marrer la galerie est d'une tristesse inouïe).
Mais à la fin de la projection: gros coup de mou tout de même. Le film sent trop le docu-prétexte, encensant l'ancien "Charlie" pour mieux se payer le nouveau et descendre des types comme Cabu ou Wolinski, présentés comme de quasi-traîtres à la mémoire du grand homme, sans prendre en compte que les relations de ces derniers avec Choron ont peut-être été plus complexes que l'image de la chouette bande de potes qu'on associe un peu trop vite à l'équipe d'Hara-Kiri. Globalement, ce procès à charge du nouveau Charlie sous prétexte de brosser le portrait de son fondateur me laisse un sale goût dans la bouche. Ben ouais, Charlie, c'était mieux avant, mais tout était mieux avant de toutes façons.
_________________ "Franchement, est-ce que j'ai une tête à avoir tué 33 personnes? Non. Tout ce qu'on peut me reprocher, c'est d'avoir ouvert un cimetière sans licence!"
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