Kucrapok a écrit:
Je comprend pas pourquoi on associe Charlie Hebdo à de la daube depuis que Choron en a été lourdé. Et pourquoi on jette Val aux orties. J'ai d'ailleurs beaucoup de plaisir à lire Charlie dès que j'en ai l'occasion.
Ceux qui regrettent Choron et ceux qui conchient Val ne sont pas forcèment les mêmes et ne le font pas pour les mêmes raisons.
Je n'ai pas l'âge d'avoir lu Charlie époque Choron, mais on retrouvait ce dernier un petit peu partout, enfin surtout ses copains, et surtout à l'Echo des Savanes. (Le magazine Zoo est remarquable également mais est venu plus tard et n'a pas duré très longtemps car trop de procès contre lui).
Le Charlie Hebdo de 1992 est très différent, mais pas moins très lisible. Le côté "bête et méchant" était encore présent grâce à Siné, Charb et pas mal de dessins. A côté de ça on trouvait des bons reportages de Cyran, Kerloch', Cholet, Tignous et des éditoriaux (Val et Cabu) ironiques et souvent drôles.
Tout allait bien, Charlie Hebdo combinait engagement (pour la dissolution du Front National entre autres) avec des moments plus décalés (cf le hors-série "Le guide du collabo" à l'arrivée de la droite au pouvoir ou "comment un sale gauchiste peut se discipliner et apprécier le nouveau monde tel qu'il est"). Val écrivait toujours des choses intéressantes (ses recueils d'édito "Allez-y, vous n'y reviendrez pas" sont très agréables à lire) mais le style s'ampoule un peu, la culture philosophique s'étale un peu plus, le sens disparaît (coincidence avec la cohabitation de 1997 ??)
Et puis le ton devient plus sérieux, avec moins de recul : interview de Cohn Bendit et de politiques Verts en pages centrales, soutien aux frappes de l'OTAN sur la Serbie... Et la pub, sous forme de partenariat avec Libération (échange d'espace publicitaire) apparaît et empiette de plus en plus la charmante section "Copinages" qui annonçait clairement la couleur.
Certains journalistes, lassés de la vie interne du journal, démissionnent (Cyran, Chollet). D'autres sont virés (Kerloch' ou le dessinateur Lefred Thouron suite à un dessin sur l'ancien partenaire de scène pendant 20 ans de Val, Patrick Font, coupable d'attouchements sur mineurs) et des éditoriaux pompeux et souvent illisibles (Philippe Courcuff). Val signe des fois 3 papiers dans un même numéro.
Et Val s'extirpe aussi du journal pour devenir un éditorialiste vedette à part entière (présence régulière sur LCI, France Inter depuis de nombreuses années). Et y expose ses idées qui ne sont pas forcément celles de son journal ou en tout cas de ses journalistes. Cavanna mollit mais s'en plaint tout de même, Cabu a trop de piges ailleurs pour vouloir chambouler la situation (et assez proche au niveau des idées), les historiques rongent leur frein ou rentrent dans le rang. Les doux rêveurs Siné, Willem et Gébé conservent leur cases et n'en débordent pas.
Celui qui en 1996 moquait "les nouveaux chiens de garde" en conspuant la figure de l'intellectuel médiatique se retrouve 12 ans après sur le tapis rouge à Cannes en compagnie de Bernard-Henry Lévy..... Et cela fait quelques années que ça dure. Sa carrière musicale en profite également, passant de la case "chansonnier" à "artiste interprète" et signe chez Harmunia Mundi.
Las, les dessins et caricatures ont moins de pagination (ou alors pour des dessins en très gros) et une deuxième phase de journalistes très sérieux, très premier dégré et sans once de satire débarquent (Caroline Fourest notamment). Outre leur propos là encore pas forcément en phase avec l'esprit du journal de 1992, la fantaisie, l'amusement, la surprise disparaît. Certaines fois même, un certain conservatisme (critique monobloc des banlieues et de l'islam) est visible.
L'affaire des caricatures d'Allah est symptomatique : une défense du principe de liberté de la presse et de la caricature en particulier.
Sauf que Charlie Hebdo refuse aussi pas mal de dessins.
Sauf que diffuser des caricatures pas drôles pour le geste c'est bien, mais cela n'empêche pas la critique desdites caricatures.
Sauf que le soutien inconditionnel de toute la classe politique et de Nicolas Sarkozy en premier lieu a fait rayonner Val et plutôt embarrassé sa rédaction.
Sauf que certains suspectent un "deux poids deux mesures" et attendent (vainement ?) que Charlie Hebdo milite aussi pour tous les autres dessins stupides et pas drôles qui ne soient pas islamophobes. Et je ne suis pas sur que cela soit une bonne chose de toute façon.
Un autre Charlie Hebdo, plus proche de Choron, n'aurait publié les caricatures que si elles étaient drôles d'abord. La provoc et le mauvais gout ne sont pas éliminatoires bien évidemment. Groland c'est dans la continuité de Choron.
Le Charlie version Val s'est tout de suite drapé dans un universalisme crispant et en a récupéré les fruits médiatiques : combien d'articles et d'invitations pour son nouveau recueil d'éditoriaux ? Bien plus qu'avant et sur tous les médias principaux. Val c'est dans la suite de Marc Jolivet.
Voila. Je n'achète plus Charlie Hebdo depuis 2002. Siné Hebdo est pas mal mais loin d'être indispensable et assez paresseux (un roman feuilleton ?? franchement ?) et je ne suis pas allé voir le documentaire sur les caricatures.
Et j'irai voir le film sur Choron, dans un cinéma MK2 ou pas...